samedi 28 janvier 2012

Un groupe mythique : Heinrich's Black Devils

Il est plus que temps de sortir d’un relatif anonymat un groupe autrefois mythique et injustement méconnu aujourd'hui, Heinrich’s Black Devils.
L’histoire commence dans les années 50 à Laragnasse, dans l’Aveyron. Henri Lajoie, issu d’une famille modeste (le père est flatuleur dans une conserverie de cassoulet, la mère astrophysicienne à domicile) joue de l’accordéon dysphonique au sein des « Campagnols », l’harmonie municipale. Il décide en 1952 de fonder un orchestre avec d’autres musiciens des Campagnols :
Raymond Cussinoux (dit Raymond la Science car il connaît les tables de multiplication) trompette et cabrette
André Roubignol, ‘Bonbon’, qui tient l’harmonium à l’église, se charge des claviers
René Lécluze , surnommé Gorgeon, deuxième accordéon et pastis
Marius Boudinot , ‘L’Enclume’, titulaire de la grosse caisse, prendra la batterie
Augustin Lamoule, ‘La Mule’, contrebasse
Louis Margouillat, dit ‘Torgnole’ pour ses aptitudes au combat rapproché, guitare
Pierre Torchevieux, un semi-pro qui opère déjà dans les baptêmes et les mariages accepte de devenir le chanteur du groupe, qui répète inlassablement dans une salle désaffectée de l’abattoir à volailles. Le groupe s’appellera sobrement « Riton Lajoie et son orchestre ». Ils seront rejoints quelques mois plus tard par Ginette Laprugne, ‘Cochina’, violon et mandoline, et Huguette Charançon, ‘Pipette’, choriste, triangle et maracas.
                                                     Riton Lajoie et son orchestre

Ils apparaissent pour la première fois en public à l’occasion du bal des conscrits, l’accueil est assez mitigé : ils sont les défenseurs intraitables d’un musette pur et dur, sans concession aucune et ne s’écartent guère des standards du genre, « Ah ! le petit vin blanc », « On n’a pas tous les jours vingt ans » ou autre « Java bleue », les moins de 70 ans ne sont guère enthousiasmés. Ils écument les bals de village aux alentours, les temps sont durs et les moyens de déplacement rudimentaires :
                                                           
Pourtant il faut bien manger, ils vont mettre de l’eau dans leur vin et dès 1955, ils tentent de surfer sur la vague latino, mambo, rumba et cha-cha-cha, le groupe est rebaptisé « Enrico Frijoles (en hommage à son père)* et los Sombreros ».
                                             Tout à gauche, Gorgeon joue du pastis

Ils sont alors remarqués par un homme d’affaire local, Alfred Lassoupe, bien introduit dans le show-biz aveyronnais et qui les prend sous contrat. Les conditions matérielles s’améliorent, ils disposent désormais d’un véhicule mieux adapté à leurs longues tournées dans le sud Aveyron :
                                                      
Pourtant les nuages noirs s’amoncellent déjà au-dessus du groupe : en juin 1963, Gorgeon est retrouvé mort d’une overdose de pastis Duval dans les toilettes de la salle polyvalente de Sainte Greluche après le bal des pompiers, la vague yé-yé les oblige à changer une fois de plus de style et de nom : désormais ce sera « Ricky Joy and the Black Beans ». C’est d ‘ailleurs sous ce nom qu’il décrocheront leur seul et unique enregistrement, sous le célèbre label aveyronnais Tripoux, un 45 tours simple empruntant son titre à la chanson de la face A, le déchirant « Come back Ginette ! ». Mélange de twist et de rythm and bouse, malgré l’absence totale de promo, le disque atteindra le chiffre respectable de 53 exemplaires vendus.

                                                    Ricky Joy and the Black Beans

Puis Lassoupe s’enfuit avec la caisse, emmenant avec lui Cochina, la petite amie d’Henri. René Lécluze est remplacé par Adrien Piedvache, Pipette malgré une technique rudimentaire, tient le violon et la mandoline pour remplacer Cochina, mais le groupe ne trouve toujours pas sa place. Faut dire que l’accordéon, pour le yéyé, ça n’aide pas… Une brève tentative dans le reggae sous le nom de « Rasta Rick and the Bean Eaters » s’avèrera tout aussi infructueuse. Ils cherchent alors à imposer un nouveau style avec « Henry and the Bean Eaters  Pinguins », sans plus de succès.

                                                   Henry and the Bean Eaters  Pinguins

Suit une brève incursion avortée dans le country rock : Ricky Country and the Roy Beans

Ils décident alors de changer radicalement de registre et se lancent dans le black metal tendance Mayhem sous le nom de Heinrich’s Black Devils. Malgré une scénographie très travaillée et des tenues de scène originales, le public boude, comme en témoigne cette photo de leur dernier concert à l’occasion de la foire au gras de Trouffignac, dans l’indifférence générale :
                                    Heinrich’s Black Devils, Pipette s’est mise au violon.

Ce sera leur dernier échec : miné par les dissensions internes et les problèmes financiers, le groupe finit alors par éclater. Seuls Henri et Raymond la Science, unis par une indéfectible amitié, resteront ensemble et poursuivront une carrière de musiciens des rues. On peut encore les écouter dans les couloirs du métro de Millau.
                                                        

Quelque liens pour approfondir vos connaissances :
http//ploucmusic&%ritonlajoie&bide.htlm
http//saintegreluche%pompiers/pastis/1963.htm
http//lharicotaveyronais/flatuleurs/lajoie.htlm

* Frijoles = haricots en espagnol