vendredi 27 janvier 2012

Saint Aphorisme





L’aphorisme est un exercice dans lequel se sont illustrés les plus grands esprits, de Montaigne à La Rochefoucaud, de Pascal à Flaubert, de Nietzsche à Raffarin. Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où venait ce nom ? Eh bien, c’est tout simplement le nom d’un moine prêcheur du treizième siècle, Cambrésius (Cambrésis) Adage, canonisé en 1432 sous le nom de saint Aphorisme, bien oublié aujourd’hui après avoir connu une célébrité considérable en son temps.

Il naît en avril 1223 à Cambrai, septième enfant précédé de 3 soeurs, deux frères et un cas douteux. Sa mère Jehanne (surnommée Ermeline* pour sa propension à pratiquer avec enthousiasme la position dite ‘de la levrette’) est la fille d’un riche laboureur, Sentence, à Morprochaine, entre Cambrai et Besançon. En 1209, elle fait la rencontre de Charles Adage au bal des fossoyeurs de Labrève-de-Contouard ; le coup de foudre est immédiat, et même doublement immédiat puisqu’ils furent frappés par un éclair alors que Charles la besognait vigoureusement au sommet d’une meule de foin. Il faut dire qu’en ces temps riches en superstitions, la foudre passait pour être contraceptive et ceux qui ne voulaient pas d’enfants s’astreignaient à ne copuler que sur des meules de foin par temps d’orage. L’enfant conçu ce jour-là par Ermeline, la petite Brunebas (ainsi nommée parce qu’elle naquit avec un épais duvet noir sur les jambes, conséquence probable du foudroiement per coïtum) mit fin à cette ridicule croyance.

                            Ermeline et Charles après la foudre par le douanier Roussi, Musée Sanzar, Paris

Charles Adage tenait une prospère boulangerie de bonne renommée (il fut le fondateur et le chef de la Congrégation pour la propagation de la fouace) mais partit en 1022 s’installer à Cambrai pour développer sa clientèle. C’est donc là que naquit notre futur saint, fort logiquement baptisé Cambrésis (Cambrisius) Adage. L’enfance de Cambrésis fut des plus ordinaires et ne révéla en rien ses futurs talents : ses premiers mots furent sans intérêt aucun, il ne compissa sa couche que durant une période normale et s’abstint de tripoter ses soeurs plus que de raison, bref rien à signaler. Se souciant peu de mettre la main à la pâte dans la boulangerie familiale, il entra à 15 ans à l’abbaye de Monquinquin comme frère convers et c’est là que son destin bascula : sur le point de subir sa troisième sodomie de la matinée frère Cambrésis délivra sa première vérité première en s’écriant : « Trop, c’est trop ! ».
       
                  Saint Aphorisme découvre son talent, par Abbal Hacalott, musée de l’art crétin, Genève

La chose fut rapportée au père abbé qui reconnut aussitôt dans cette forte parole la marque d’un esprit supérieur et prit le moinillon sous sa protection. Dès lors finies les ingrates corvées, les journées de Cambrésis se partagèrent entre les heures d’études et les moments consacrés au déduit sous la férule (?) du père abbé.

                              Saint Aphorisme s’entraînant au prêche sur des poissons, par Fish Handchips,
                                               Nouvelles Galeries, Toulouse.

Ses premiers prêches dans les paroisses environnantes eurent un écho considérable, les gens se pressaient pour y assister, il fallait réserver.
             Saint Aphorisme en chaire, par Léyéhyé Cétékon, musée N’Yaplurien, Ouagadougou                                                                               
De cette époque datent bien des assertions lumineuses reprises plus tard par d’autres sans aucune vergogne :
Quand noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir.
Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con.
Dieu est Dieu, nom de Dieu !
L’enfer, c’est les autres.
Bleu, bleu le ciel de Provence, blanc, blanc, blanc le goéland.
Vive le Québec libre !
Et queue de rat et queue de rat...

                               Saint Aphorisme enregistrant son prêche malgré un micro un peu haut
                                                    par Arséniate de Soude, collection Privay

Il parcourait l’Europe entière, dans une véritable hystérie populaire. Tous les moines copistes de France trimaient dur pour multiplier les exemplaires d’un florilège de ses pensées, Le Traité des vérités premières du très humble et très chrestien frère Cambresius, plus familièrement appelé Le Traitè. Mais cette gloire soudaine ne tournait pas la tête du saint homme et ne modifiait en rien la simplicité de son comportement :
                                  Saint Aphorisme pas fier donnant à ses copains l’adresse de son coiffeur
                                  par Auguste Merlan Musée de l’Aréagoche, Rideveau-sur-la-Siète

En sa grande modestie, quand on le félicitait de la profondeur de ces vues, il se contentait de répondre : « Ce ne sont que petit riens, des bêtises quoi... ». Des commerçants avisés voulant profiter de la renommée du saint s’emparèrent de cela et donnèrent le nom de bêtises de Cambrésis à toutes sortes de produits, du laxatif au bilboquet, mais seule une triste confiserie est parvenue jusqu’à nous sous l’appellation bêtise de Cambrai. Pour autant il ne faut pas en oublier que l’esprit prodigieux de ce précurseur de Léonard de Vinci embrassait toutes les facettes du génie humain ! C’est ainsi que saint Aphorisme fut l’irremplaçable inventeur du cerf-volant :
                                         Saint Aphorisme invente le cerf-volant par Manuel Lamano
                                                 dit le Pignolo Musée du jouet, Ouiouiville

du bras d’honneur,
                                           Je te nique ! par Osso Buco Poste centrale de Muhlouse.

du préservatif féminin,
                                 Enfin rassurée, par Esther Hillay, musée Elizabeth Hadeudau, Condom

 du vol libre :
                                          Sans les pieds, par Harry Boudini, musée de l’Aviation

et de bien d’autres merveilles... Gardons-nous cependant de croire que sa quête de la sainteté ne fut qu’un long fleuve tranquille car Dieu ne l’épargna point et le soumit à bon nombre d’épreuves :
 la tentation de la chère,
             Célébration de Saint Émilion par Émile Hésyme, dit Le Picolo, Musée Lavinasse, Béziers

de la chair
                                                Buvez du lait ! par Abbal Hacalott, musée de l’art crétin, Genève

des petits garçons
               Saint Aphorisme méditant sur le sexe des anges, par Avanti Popolo, Museo del Pedo, Madrid

et, pire encore, la tentation du sport !
           Saint Aphorisme joue et gagne, par Archie Bishop, bar Chez Titin (au-dessus du flipper), Marseille

Saint Aphorisme, qui avait découvert le premier que le meilleur moyen de se délivrer de la tentation, c’est d’y céder en triompha sans difficulté. Hélas, en un triste jour de mai 1267 il fut dramatiquement enlevé à l’affection des chiens lors d’un prêche en la cathédrale de Francheville-Gare, alors qu’il avait, comme à l’accoutumée, fait salle pleine : il prononçait son sermon en lévitant majestueusement au dessus des fidèles quand, distrait par une pensée lubrique envoyée par le Malin, il percuta de plein fouet un pilier et s’écrasa vingt mètres plus bas comme un sac de noix. N’ayant pas encore inventé le casque intégral, il mourut sur le coup, a peine eut-il le temps de prononcer son cultissime « Quand on est mort, c’est pour la vie. ».

En ces temps là, l’Église n’avait pas inventé les moyens modernes de production dont elle dispose aujourd’hui, la canonisation à la chaîne n’existait pas encore et il fallut attendre soixante cinq ans avant que Cambresius ne soit canonisé par le pape Chipolata II sous le nom de saint Aphorisme, du bas francique Äffohrriismk, qui signifie Hugh, j’ai dit.
Pour ceux, nombreux, que la vie de Saint Aphorisme ne manquera pas d’intéresser, je les renvoie à l’ouvrage aussi exhaustif que définitif d’Amélie Perteblanche du Trognon, Le Traité du catho Cambrésis, Éditions du Pou nerveux , 1328 pages, 57 euros. Il y retrouveront ces quelques perles données ici à titre d’échantillon.
 - Qui donne aux pauvres prête à Dieu, réclamez un reçu.
- En vérité je vous le dit, la bavette, c’est quand même plus goûtu que le faux-filet.
- Dieu rachète vos péchés,  pécher c’est investir.
- N’ayez crainte de souvent communier, l’Eucharistie ne fait pas grossir.
- N’ayez garde d’écouter le solliciteur qui vous dit : « Dieu vous le rendra au centuple », exigez davantage.
- Qui veut faire l’ange fait la bête, mais la femme qui trop fait la bête finit chez la faiseuse d’anges.
- Tout vient à poings à qui sait se rendre.
- Ne doutez point que le monde soye au mieux fait, car ainsi que professent les arracheurs de dents, la molaire des uns fait le bonheur des autres.
- La sainte Trinité, c’est le tiercé du chrétien.
- Les hémorroïdes, c’est des trucs à dormir debout.

That’s all folks ! Que Dieu vous tienne en sa sainte garde.
* À ceux pour qui l’étude comparée des canidés ne serait plus qu’un lointain souvenir, Ermeline est l’épouse aimante et dévouée de Renart.
Saurez-vous trouver un vers connu d’une fable de La Fontaine dissimulé dans ces divagations ?